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LE CONSUL
7 mars 2005

OMISSION, épisode III

-Kto ti ?

La voix éclata dans le dos de Noun, un morceau de pizza à la main, il fut subitement conscient du ridicule et de la précarité de sa situation.

Il se retourna lentement, et vit un type, aussi musculeux qu'antipathique, à la brosse soignée, vêtu d'un survêtement noir, pointant sur lui un revolver, qui bien que de petite taille, semblait extrêmement menaçant.

-Kto ti ? Répéta le type.

Noun réfléchissait. Le russe en face de lui semblait déterminé, ne prêtant aucune attention aux trombes d'eau qui se déversaient maintenant, trempant son survet et ruisselant le long de ses mâchoires carrées.

Il devait trouver quelque chose à dire ou à faire, il ne pouvait se résoudre à décamper, comme le type lui suggérait de faire d'un mouvement de poignet. Les longs discours n'étaient pas son fort...

Noun, parodiant un célèbre volatile, laissa choir sa prise, et profitant du regard dégoûté que le gangster lança à sa pitance humide, se jeta dans ses jambes.

Le choc fut violent, faisant rouler les deux protagonistes le long d'un talus, et projetant au loin le 38 spécial.

Noun anticipant leur trajectoire fut le premier sur ses pieds, et assena un lourd coup de genou à son adversaire qui tentait de se relever. Le coup arriva en pleine face du culturiste provoquant un craquement et l'envoyant sur le dos à trois bon mètres de là. Cependant, mû par une volonté hors du commun, le russe réussit à se redresser avant d'être rejoint par l'ami de Thomas.

Deux gestes, très rapides, le premier, de la jambe faucha Noun alors qu'il se précipitait, le second jetant les quatre-vingt kilos du mafieu sur sa poitrine lui arrachant un cri de douleur.

Les deux hommes roulèrent à nouveau cherchant mutuellement à prendre l'avantage, qui par une tentative d'étranglement, qui par une clef de bras. Noun parvint enfin à regrouper ses genoux et à propulser son ennemi assez loin pour se retrouver debout face à lui. Ils se regardaient, le souffle saccadé, dégoulinants de pluie et de boue, le russe pissait le sang...

La brute de l'est chargea, enchaînant coups de pieds et de poings avec une vitesse étonnante, Noun, la rage au ventre, en esquiva quelques uns, en bloqua d'autres, mais la violence de l'attaque et la douleur croissante qu'il ressentait au niveau du sternum, ne lui permirent ni de répliquer, ni d'éviter un crochet à l'oreille, l'étourdissant quelques secondes et lui faisant craindre le pire. Alors, l'espoir changea brièvement de camp...

 

 

Thomas se sentait comme un fauve en cage, ses côtes lui faisaient mal, et il terminait son second paquets de clopes, lui qui avait arrêter de fumer depuis vingt-deux jours. C'était sa dix-neuvième tentative, et c'était son record...

Grâce à... Elle.

Le retour violent de Katarina dans ses pensées décupla sa rage et il frappa durement le mur de son poing...

Sa colère était toujours là, intacte, et maintenant, son poignet le faisait souffrir.

Comment pouvait-il rester inactif alors que ses amis prenaient certainement des risques insensés pour retrouver sa princesse slave ?

Il n'avait pas été traîné dans sa salle de bain, il s'y était réfugié, terrifié, avant que le colosse ne l'y rejoigne pour le cogner. Etait-il un lâche ? 

Pourquoi pour la première fois de son existence, le sort d'une autre personne...Elle, devenait-il plus important que tout ?

Il froissa nerveusement son paquet flanqué du dromadaire. Il avait d'urgence besoin de quelque chose, mais de quoi ?

Il se leva et entreprit une fouille systématique du salon...

 

 

Noun, concentré sur sa défense, heurta en reculant un objet sur le sol. Il en était sûr, son pied était posé sur le revolver du type. Cette bouffée d'adrénaline lui permit plus d'audace, il fit un pas en avant, pénétrant la garde adverse, et se saisissant de la veste de survêtement, donna le plus puissant coup de boule de sa vie... son écoeurant.

D'un bond, il ramassa l'arme et la pointa sur la créature qui gisait à ses pieds...

Noun souriait, satisfait de l'issue du combat. Cependant, une chose l'intrigua.

Le russe se relevait, le nez en bouillie, mais un grand sourire aux lèvres.

-Po..pourquoi tu te te ma..aa.rres du.du..con ? Demanda Noun.

Pour toute réponse, il entendit un coup de feu, et le bruit grotesque d'un projectile pénétrant son corps.

Il sentit rapidement ses forces décliner. Le chauve venait vers lui, prononçant des mots etrangers... Les sons se perdirent, il sombra...

 

Les coups de feu claquaient dans le sous-bois humide.

Les balles sifflaient dans la pluie et faisaient éclater l'écorce des bouleaux.

Franck s'exerçait au tir depuis bientôt vingt minutes, et commençait à maîtriser le Beretta 92F, cadeau d'Abdel.

Il regarda sa montre ; Quatorze heures et trente neuf minutes. Il se demandait ce que faisaient ses compagnons.

Quoi qu'il en soit, il ne disposerait pas des infos d'Abdel avant le lendemain et il serait certainement, pour l'heure, plus utile auprès de ses amis. De plus, l'idée de laisser des personnes seules chez lui, et même ces personnes, le rendait nerveux. Il avait toujours eut du mal à se livrer, à faire confiance et aujourd'hui encore, il devait payer un inconnu pour lui dire sa peine, sa peur, sa douleur et sa solitude.

Il rechargea l'arme, la glissa dans son jean, ramassa les douilles, vérifia les trois chargeurs restants et remonta dans son élégant coupé.

Le véhicule quitta le chemin forestier et regagna la nationale. Quelques minutes plus tard Franck circulait dans le flot ininterrompu des voitures de la ville.

Etait-ce la frustration d'avancer moins vite qu'un piéton ? D'où venait ce sentiment d'urgence, cette impression qu'il devait, au plus vite, rejoindre son loft ?

Franck ferma les yeux une seconde. Son instinct l'avait rarement trahi, son loft n'était plus très loin.

Il se gara et se dirigea en courant vers son adresse, incapable de réprimer son inquiétude...

 

L'escalier grinça derrière moi, je me levai d'un bond et fit face à l'intrus tenant dans mon dos ma précieuse découverte.

-Ah t'es là ! Lança Thomas. J'ai plus rien à fumer. Tu sais si y'a des clopes ici ?

-Euh...Non . Bredouillai-je. Je me sentais coupable et à la fois je jubilais, il n'avait rien vu, c'était sûr...

-Mais qu'est-ce-que t'as ? T'es tout blanc ! Tu fais quoi dans la chambre de Franck ?

Je fus instantanément déçu par mes capacités de dissimulation et de clairvoyance. Il  fallait me reprendre et vite, je n'en savais pas encore assez pour lui en parler. Et puis je n'avais jamais vraiment apprécié d'être pris en faute.

-Rien de spécial ! Répondis-je génialement. Allez, viens, je vais nous faire à manger, ça m'empêchera de gamberger et toi, ça t'empêchera de fumer, mais au fait t'avais pas arrêté ? Direction la cuisine ! Je te suis !

J'emboîtais le pas de Tom dans l'escalier, glissant le carnet sous mon pull-over. Au même instant, Franck tournait sa clef dans la serrure.

-Franck ça va ? Hurla Thomas. J'ai flippé toute la matinée. Noun est pas avec toi ?

Il avait l'air anxieux, et nous regardait Tom et moi, à la recherche de quelque chose d'anormal.

-Y'a un problème? Lui demandai-je à voix basse.

-Non ! tout baigne ! j'ai juste les crocs.

-C'est parfait, je vais nous faire des pâtes. Un kilo pour nous et un kilo au cas où Nounours nous rejoindrait.

Cette remarque, allusion classique au légendaire coup de fourchette de notre ami, suffit à balayer les doutes de la matinée et à regonfler le moral de tous. Seule, une once de culpabilité subsistait au fond de moi.

L'agitation autour d'une cuisine nous rappelait tellement de souvenirs, tant de fois nous nous étions retrouvés ensembles autour d'un fourneau, tout reprenait sa place, chacun de nous entrant dans son rôle, costume étroit mais sur mesure. Plus question de personnel, bientôt la conversation se ferait machinale, rassurante.

Le temps d'un repas, le dernier que nous prendrions ensemble, nous oubliâmes les ombres qui planaient sur nous, et, repus, nous nous laissâmes même aller à la plaisanterie.

Enfin, bercés par un air de jazz, quelques chauds traits de soleil nimbant la vaste pièce, nous nous glissâmes dans une paisible sieste avec, l'impression diffuse de vivre le calme avant la tempête...

Dix-huit heures. La montre Chrono de Franck venait de sonner, brisant net nos songes.

Il faisait froid à présent, la lumière avait fui, et on n'entendait que le ronflement de la platine disque de Franck, sur laquelle continuait de tourner, à vide, un rarissime vinyle du Duke.

-Déjà six heures et pas de nouvelles de David.

-Tu crois qu'il a pu lui arriver quelque chose ? Demanda Thomas.

-Sûrement pas. Répondit Franck avec la désagréable impression qu'il n'avait dit cela que pour essayer de rassurer tout le monde, lui y compris, et qu'il avait échoué...

-Je pense que nous pouvons lui laisser encore un peu de marge pour nous rejoindre, après tout c'est moi le malade de la ponctualité. Rajoutai-je.

-Et puis ? Demanda Tom.

-S'il est pas rentré dans une heure, j'irai le chercher. Dit calmement Franck. Jusque dans le trou du cul des russes !

-Et j'irai avec toi. Affirma Tom

-On ira tous les trois. Dis-je, sans conviction.

Durant l'heure qui suivit chacun essaya de se préparer à l'action, tout en la redoutant...Nous nous regardâmes, incapables d'apaiser notre angoisse...

Lorsque la clef actionna la serrure de la porte blindée, nous nous raidîment.

Il était enfin de retour, et nous n'aurions pas à arpenter les rues noires et glacées pour le retrouver.

Thomas se leva le premier et se rua vers l'entrée.

-C'est lui !

Franck et moi, encore figés, le suivîment du regard et lorsque la porte s'ouvrit, ne comprîment pas tout de suite pourquoi Thomas s'était arrêté net de parler et de marcher.

Je m'avançais à mon tour vers la porte, notant du coin de l'œil l'étrange comportement de Franck qui basculait derrière le canapé. Alex arrivait maintenant à la hauteur de Thomas, pétrifié.

Dans l'encadrement de la porte, se trouvait en effet notre ami Nounours, ou plutôt quelqu'un qui aurait pu être lui.

Son visage était boursouflé par les coups, les ecchymoses recouvraient les plaies, et une large cicatrice lui barrait la face.

 Le sang avait collé ses cheveux, et sa pâleur extrême lui conférait un air surnaturel. De son ventre sommairement bandé gouttait une blessure profonde. Il paraissait mort quoique tenant debout, et le faible sourire édenté qu'il parvint à faire au prix d'un terrible effort, nous glaça d'effroi.

Il s'effondra, d'abord sur les genoux, pour enfin heurter lourdement le parquet.

Alors que Thomas était toujours prostré, incapable du moindre geste, je m'avançai précipitamment, désireux de porter secours à mon ami blessé.

Je me retrouvai nez à nez avec une arme à feu, que l'importance du calibre rendait obscène.

-Vous pas bouger ! Vous pas crier ! Beugla un chauve bedonnant à l'accent russe très marqué.

Personnellement, alors même que personne ne me l'avait demandé, je jugeai opportun de lever les bras et de reculer m'adosser à l'une des colonnes de l'entrée.

La brute enjamba le corps immobile de Noun, et plaqua un Tom sans résistance contre l'autre pilier.

Un deuxième gangster entra, armé lui aussi, il avait un double cocard et deux bouts de coton dépassaient de ses narines, détail qui m'aurait certainement fait rire dans d'autres circonstances, pour l'heure, je profitais de ce que « nez de coton » traîne la carcasse de Noun à l'intérieur pour jeter un regard au salon. Franck, plus perspicace que moi, avait bel et bien disparu...

Un troisième type entra enfin et claqua la porte derrière lui, il était vêtu d'un costume de marque et s'adressa à nous sans accent.

-Bonsoir messieurs, je me nomme Artyusha, mais mes amis m'appellent Art...

-votre compagnon nous a raconté une histoire bien intéressante au sujet de quatre adolescents attardés qui se prenaient pour des justiciers, après que nous l'ayons trouvé en train de fouiner dans nos affaires.

Il s'est, heureusement pour lui, montré très coopératif... Alors comme ça, reprit-il en s'adressant à Tom, ta dernière entrevue avec Sacha ne t'a pas suffit, il attend en bas, tu as vu ce qu'il a fait à ton ami, je pense qu'il se fera un plaisir de te re-expliquer les choses...

-Où est Katarina ? Qu'est-ce-que t'as fait à Noun espèce d'enculé ? !

La réponse lui vint sous la forme d'un magistral coup de crosse assené par « tête d'œuf », puis Art repris.

-Cette pute est la propriété de monsieur M., reprit l'élégant aux lunettes sur le front, aussi alors qu'elle avait manifesté un trop grand amour de la liberté, il nous a demandé à Sacha et à moi de la ramener dans le droit chemin, ce qui fut fait, et ne voilà-t-il pas que quatre petits...

Il s'interrompit un instant jetant un coup d'œil à l'immense pièce et sortit un pistolet de sa poche.

-Igor tam ! Vlad komnata ! Aboya-t- il. Pourriez-vous cher monsieur, vous qui me semblez raisonnable, me dire où se trouve le quatrième larron ?

-Il n'est pas encore rentré, et nous allions à sa recherche quand vous êtes arrivés, bredouillai-je.

L'homme aux cheveux blonds coupés avec soin s'approcha tout près de moi et me posa le canon de son arme sur le menton.

-C'est bien vrai cette histoire mon cher ? Dit-il.

Mon esprit fonctionnait à toute allure, comment pouvais-je réussir à couvrir Franck, les deux gorilles retournaient le loft.

Ils finiraient bien par le trouver et alors Art lui ferait payer son mensonge. De plus, je n'avais pas du tout envie qu'une fusillade éclate, j'avais horreur des armes à feu et j'avais bien vu celle que portait Franck sous son pull. Si seulement Thomas pouvait m'aider, à nous deux, nous pourrions peut-être maîtriser Art, et alors la porte ne serait plus qu'à trois mètres. Peut-être pourrions nous entraîner les gorilles à nos trousses, permettant la fuite de Franck. Oui, mais alors il y avait ce Sacha…

Et dieu sait combien d'autres types ! Malgré ma peur panique, je devais agir vite... Mais comment ?

A SUIVRE……………

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