Avertissements :
Il
est des histoires étranges, certaines incroyables, des récits qui nous
surprennent, nous dérangent...
Celle que je vais vous conter, pourra vous paraître
difficile à accepter, impossible à admettre...
Alors, détendez-vous, laissez-vous aller. Oubliez
vos certitudes, vos réflexes conditionnés.
Acceptez de vous laisser pénétrer par la profonde
véracité de cette aventure...
Où et quand ces événements se sont-ils
déroulé, quels sont les noms des protagonistes de cette
affaire, quels sont les indices, les éléments de
preuves ?
Me lanceront
certains d’entre-vous...
Incrédules que vous êtes !
La preuve de la réalité de tout ce qui va suivre,
c’est dans votre cœur que vous la trouverez...
Cessez de vous attacher aux détails, abandonnez, un
instants, votre foi en la toute puissance des faits...
Ce que l’on vous dit est parfois diffèrent de ce que
vous entendez....
La recherche effrénée d’une rationalité, le souci
naïf d’une objectivité, le besoin pathologique d’une efficacité :
Autant de freins et d’obstacles a la compréhension
de soi et des autres....
Alors, faites silence en vous !
Ouvrez grand vos yeux, vos oreilles et encore plus
grand votre cœur...
Préparez-vous à entendre, peut-être à comprendre...
Entrez, je vous en prie...
Entrez................................................................
Il
était maintenant plus de huit heures quarante...
Chrystelle, une fois encore, engluée dans les
encombrements, savait qu’elle serait en retard.
Elle était toujours en retard, partout et depuis
aussi loin que sa mémoire lui permettait de remonter.
-Mais avance ! Aboya-t-elle à la fourgonnette
qui, devant elle, hésitait à plonger dans le fleuve routier...
-Cette fois, se dit-elle, on est vraiment bloqués...
Elle glissa la main dans son sac, puis,
nerveusement, en étala le contenu sur le siège passager. Elle composa un numéro
sur son GSM, et dévissa le tube de son brillant a lèvres.
-Allô ! Oui, c’est le... , bonjour Hélène,
pourriez-vous prévenir mes premiers patients .... Oui, d’environ une heure...
Merci Hélène... Oui, au revoir.
Une icône, une enveloppe stylisée et animée,
clignotait sur l’écran de son téléphone.... Elle enfonça une touche, et libéra
le mini-message...
-« Je suis désolé, je t’aime, a ce
soir....Laurent ».
La main de Chrystelle se mit à trembler, la soirée
d’hier avait été très dure, il avait été odieux, elle avait été cruelle.
Longtemps, elle avait pleuré, avant de s’endormir...
Neuf heures vingt, son véhicule franchit les grille
du centre hospitalier universitaire de L., elle le rangea sur la place
marquée : « Docteur B., service de psychopathologie du
professeur D. »
Une larme finissait de mourir sur le grain de peau
parfait de sa joue droite...
-Madame J., crises d’angoisse et idées
suicidaires ! Lança la secrétaire médicale.
Comme tous les jeudis matin, Chrystelle, assurait les
consultations externes, et, recevait les maux que d’autres, ailleurs, n’avait
pu entendre...
-Merci Hélène, répondit le médecin, je vais la
recevoir tout de suite.
Un bureau, vaste, sur la gauche, des étagères, ou,
se dispute une place, livres, revues, dossiers, boite de médicaments, et, ca et
la, un cadre ceignant la photo d’un vieux couple souriant, une boite en
marqueterie ou, encore, une paire éraflée de lunettes de soleil...
Au sol, une moquette épaisse, bleue de prusse,
montrait quelques signes de fatigue...
De la droite venait la lumière, une série de trois
fenêtres voilées de stores, créaient une ambiance striée...
Le mur du fond n’était habillé que d’un tissu écru,
d’inspiration vaguement africaine...
Enfin, au centre, deux chaise aussi rouges que
métalliques, un divan de tissu noir, un bureau noir lui aussi, et derrière le
bureau, une femme, d’environ trente ans, ses cheveux noués en chignon étaient
blond, tirant sur le roux, et ses yeux bleu-vert.
Elle était plutôt grande, mince, son sourire et ses
taches de rousseur la rendaient sympathique et douce.
Sur sa poitrine haut placée, il y avait un badge,
sur lequel était inscrit, en blanc sur noir : « Docteur
Chrystelle B. ».
-Asseyez-vous, je vous en prie madame J., dit-elle,
je vous écoute, dites-moi ce qui se passe...
Trois heures et huit patients plus tard, le
téléphone gris, posé sur le bureau, sonna.....
-Docteur, c’est le professeur D., il désire vous
parler de quelque chose et vous donne rendez-vous dans quinze minutes pour
déjeuner, annonça Hélène, c’était le dernier patient pour ce matin. Bon appétit
docteur...
Les rires étaient partout dans la cafétéria...
Chaque jour, s’y déroulaient les mêmes rituels.
Chacun venait s’y sustenter autant que s’y détendre.
Pour tous ceux que la difficulté du labeur
hospitalier avait entamés, la légèreté de la cuisine et la lourdeur des
plaisanteries faisaient des miracles.
On pouvait y voir, assemblé autour de longues
tables, un bruyant patchwork de blouses, blanches, bleues ou roses...
Un peu plus loin, derrière une paroi de verre
impuissante à stopper le chahut des jeunes internes, les
« mandarins » de chaque service prenaient leurs déjeuners.
-La bouffe est toujours aussi infecte, entama le
grisonnant professeur en repoussant son assiette.
Il devait avoir la cinquantaine, peut être plus,
grand, solidement bâti, il avait, en plus de ses sourcils buissonneux et de sa
voix de basse, un humour caustique, qui mettaient parfois mal a l’aise ses
interlocuteurs.....
-J’espère cependant que cela vous a plus ma petite
Chrystelle. Bien, je pense que je n’ai rien oublié, ajouta-t-il en se levant.
Voilà les clefs de mon bureau, de toute façon, vous avez mon numéro. Par
contre, mon cher docteur B., je compte vraiment sur vous pour différer jusqu'à
mardi tous les problèmes que vous n‘aurez pas réglé.
-Comme d’habitude patron, répondit-elle. Vous pouvez
partir pour votre long week-end tranquille. Je gère.
-Vous savez, ma chère collaboratrice que vous êtes
mon bâton de vieillesse...oh, j’oubliais ! F. de la clinique de lilas m’a
téléphone ce matin, il nous envoie un patient cet après-midi. Apparemment, ils
ont tout essayé depuis prés de trois mois, aucune amélioration. Donc, demain on
le passe à l’imagerie, et mardi je signerai le rapport pour le transférer au
château... Bon, ben je m’en vais. C’est promis, le prochain pont c’est vous qui
partirez mon enfant...Promis ! Il sortit...
Vingt-cinq ans environ, poursuivait le
neuropsychiatre, d’après son dossier, il a été amené aux urgences de T., il y a
quatre mois. Les pompiers l’ont retrouvé dans un parc assis en tailleur, nu
comme un ver, au beau milieu d’un début d’incendie, dans sa main, un bout de
papier avec un prénom : Alex...
Aux lilas, ils l’appelaient comme ca.....
Il a passé cinq jours à l’hôpital, brûlures
superficielles, puis un juge a décidé face a son mutisme de le placer aux
lilas, « en convalescence surveillée »...
-Il a suivit quel genre de traitement ? Demanda
Chrystelle tout en se hâtant pour suivre les longues foulées de son confrère.
-Sous la responsabilité du docteur S., ils ont
commencé par quinze jours de « décapage » chimique, voilà la liste,
répondit Michel N., tendant un dossier a sa jeune interlocutrice. Puis
plusieurs séances de thérapie comportementale, et enfin des stimulations
electrico-chimiques...
-Mon dieu ! S’exclama elle. Il a subit des
doses de cheval !
-Et sans aucun résultat, en trois mois personne n’a
pu lui arracher un mot ou un geste... Tiens regarde.
Par la petite ouverture ménagée dans la lourde
porte, le regard pers du docteur B. pénétra dans une des petites pièces
capitonnées qui servaient habituellement à mettre en sécurité des « cas
difficiles ». La, assis sur une chaise, vêtu d’une simple blouse, se
trouvait un jeune homme brun...
Son regard
fixe était emprunt de tristesse, il ne ressemblait pas a celui sans expression
des catatoniques...
-Demain matin, repris le médecin, on va lui faire un
scan complet. Franchement, je ne crois pas a une cause organique, mais le château
nous réclame un dossier complet, signé par le patron pour lui faire une place a
vie avec les autres incurables.
-Parfait, merci Michel, si t’as besoin de moi, je
suis au troisième jusqu'à dix-neuf heures...........
-Mais c’est vrai, putain ! Y’a des fois on sait
pas si tu rigoles ou si t’es sérieux...
-Ca change quoi ?
Franck avait si souvent entendu cette remarque et
celle, associée, faisant état de son air sombre et peu engageant...
Il avait toujours était comme ca, c’était comme une
tradition, dans sa famille on souriait, parfois, mais toujours sans les
dents... Chaque fois, peu souvent, ou il avait essayé de les montrer, son
visage affichait une grimace ridicule....
Alors il avait opté pour l’air sombre, l’humour décalé,
qui, avec ses deux mètres et sa barbe noire, complétait, assez bien selon lui,
le tableau du type bourru....
-Pardon messieurs ! La radiologie s’il vous
plaît ?
-Le grand bâtiment, là-bas, a droite, répondit
Franck, portant la main à sa casquette....
Il aimait bien son uniforme de vigile, qui lui
donnait un air de flic américain.
-Bonne journée madame, rajouta Ben, son collègue,
qui lui, faisait davantage penser a un postier, comme quoi.....
Les deux hommes arpentaient ensemble le domaine
hospitalier depuis bientôt huit ans, leurs rapport se limitaient a cela, même
si après réflexion, il s’étaient aperçu qu’ils étaient l’un pour l’autre la
personne avec qui ils avaient passé le plus de temps....
Ben était beaucoup plus loquace que Franck, parlait
de tout, très vite, sans attendre de réponse...
De toute les façons, Franck avait peu de choses a
partager, sa vie se limitait d’une part a son boulot et aux quelque moment ou
il lui procurait un maigre sentiment d’utilité, comme la fois ou il avait
découvert et racconpagnée un pauvre vieux papy perdu dans le parc, et d’autre
part a ses « vieux amis du rugby », qu’il voyait de moins en moins
souvent pour évoquer leurs révolues heures de gloires sportives.
Et puis, bien sur,
il y avait
Elle....Laure.........
Seize heures et trente-cinq minutes.... Chrystelle
avait passé son après-midi à des taches administratives, sans toutefois
parvenir à chasser de ses pensées les yeux de cet Alex.
Elle se leva brusquement et se rendit à la
fenêtre...
La grêle tomba soudain, dehors chacun hâta le pas
pour se mettre à l’abri............ Des millions de billes blanches
rebondissaient sur les pelouses, les allées et les chemins, frappaient les
véhicules, le ciel était noir de suie....
En quelque seconde à peine tout fut fini...
Chrystelle, prit son bloc a la volée, sortit de son bureau et gagna d’un pas
vif les ascenseurs....
Un harmonieux tintement et la porte s’ouvrit, un
couloir, un autre, une table, derrière elle, un gardien assoupi, un registre a
émarger, quelque pas, un badge qui frole une serrure, bip, bip, la porte est
libérée, encore un couloir, de chaque cotés, deux rangées de portes bleues
marines, le docteur B. ralentit, son cœur bat si fort, ses tempes pulsent en
cadence, encore quelque mètres.....Cellule cinquante neuf...C’est la...
Tout doucement, elle entrouvre le judas, il est
toujours la, bien sur, assis le regard fixé sur. Elle...Clac, elle referme..
La tête lui tourne, elle a la nausée, fait
demi-tour, franchit la porte et.... Tombe.......
-Chrystelle ! Chrystelle ! Ca va elle
reviens..
Elle était allongée sur le sol, au dessus, le
sourire rassurant de Michel, plus loin le gardien bien réveillé cette fois,
flanqué d’un infirmier...
-Eh bien chef, tu nous as foutu la trouille, ca va
mieux ?
-Oui, je suis désolé, j’ai du manger un truc pas
frais a midi, merci Michel, ca va bien, je t’assure.....
-Ok tout le monde, vous avez entendu, c’est bon,
tout le monde au boulot, reprit le docteur N.
Se redressant Chrystelle aperçut tout ce que l’étage
comptait d’infirmiers et de femmes de service...
-Michel, il faut
que je te
parle.......
Les giboulées, déjà le mois de mars, se disait
Geraldine, déjà un an...
Un an passé comme dans un souffle, passé a ne pas y
croire, à espérer, à courir, à chercher, à demander à droite à gauche, un an à
pleurer, à essayer de faire avec ou plutôt de faire sans...
Et depuis deux mois, tout les jours, les mêmes
journées qui se suivent...
Debout sept heures, vérifier qu’il est parti, huit
heures au bureau, conversations stériles, douze heures, un sanwich, quelques
pilules, ensuite, re-bureau jusqu'à dix-sept heures, et vite l’hôpital jusqu'à
six heures, et puis une douche, quelques paillettes, un ou deux martinis, et la
nuit, danse, alcool, rencontres faciles, au lit à trois heures, jamais seule,
et ca re-part...
Pour tenir, calmant, excitant, tranquillisant,
vitaminant...
Elle y était, aile C, service de cancérologie,
troisième étage, chambre trente-huit....
-Bonjour maman, comment ca va aujourd’hui ?
Suivirent divers propos traitant au choix de la
météo, d’une émission de télévision, du prochain mariage d’une lointaine
cousine ou du caractère aigre d’une infirmière...
Une heure passe rythmée par l’inexorable écoulement
du goutte à goutte...
Six heures et trois minutes..... Géraldine, assise
au volant de sa voiture neuve, pleure.....
Chaque soir, elle a besoin, de ce temps, de ce sas,
elle ne veut pas pleurer devant sa mère, ne veut pas lui faire de mal, elle ne
peut pas pleurer au téléphone avec sa sœur, ne peut pas l’inquiéter, elle ne
sait pas pleurer dans les bras d’un homme, ne sait pas s’y montrer faible.....
Un mouchoir en
papier, un raccord de maquillage,
elle se sent prête, fatiguée, mais prête, dans deux heures elle sera
belle,
désirée, elle aura tout oublié, elle se laissera aller, son corps ferme
prendra
le contrôle.... Jusqu'à
demain.......
-C’est toi la patron !
Dans le petit bureau, Chrystelle jouait nerveusement
avec son stylo...Elle détestait prendre seule des décisions, elle savait que
Michel avait confiance en son jugement, qu’il lui soumettrait ses réserves si
elles existaient...
-Bien, merci Michel, bonne soirée, à demain....
Elle se leva, et, machinalement, perdue dans ses
pensées, regagna son service.
D’une part, il y avait les éléments clinique, cet
Alex n’avait pas du tout l’aspect
habituel d’un catatonique, cependant son regard la troublait, et puis il y
avait ce « malaise », après tout elle était de garde ce week-end et
il serait toujours temps, mardi de le faire enfermer au château. D’autre part,
il y avait cette voix en elle, ces pensées obsédantes, qui était-il ?
Pourquoi se sentait-elle le devoir de s’en occuper personnellement ?
Elle s’assit lourdement, de toute façon sa décision
était prise, demain, après son scanner, elle mettrait en place sur les quatre
jours à venir, quatre séances d’hypnotherapie...
C’était sa spécialité, et, même si elle avait ces
cinq dernières années eut peu d’occasion d’exercer, elle espérait par ce biais
entrer en contact avec le mystérieux patient de la clinique des lilas.
-Je m’en vais docteur, a demain...
-Oui, merci Hélène, a demain, répondit Chrystelle
jetant un coup d’œil réflexe au petit réveil posé a sa gauche.
Dix-huit heures quarante cinq....
Assez pour aujourd’hui, se dit-elle. Dehors la nuit
était tombée, elle se leva, rassembla rapidement ses affaires, elle se retrouva
dans le hall d’accueil, salua d’un geste l’interne de nuit, elle courut jusqu'à
sa voiture pour échapper à la pluie glacée, et tourna la clef de contact...
Elle tourna la tête en direction du pavillon psy....
Au cœur des
ténèbres, la pluie faisait un halo
autour d’une lueur au cinquième étage, cellule
cinquante-neuf.........