Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE CONSUL
15 mars 2005

OMISSION, épisode V:

La pluie tombait toujours, plus forte encore, et le toit de tôle ondulée du hangar amplifiait encore le vacarme.

La fourgonnette était sortie de la ville, et très vite les lumières extérieures avaient disparues. Ils avaient roulé encore, puis le véhicule s’était arrêté. On les avait fait descendre devant un immense entrepôt.

Et puis on les avait jetés dans une petite pièce vide sans lumière ni fenêtre.

Enfin, le son d’un lourd verrou avait clos tout espoir.

Ils étaient là tous les trois allongés sur le béton.

Noun ne saignait plus grâce au point de compression appliqué par Franck durant plus d’une heure, Tom avait déchiré sa chemise, et ils avaient pu nettoyer sommairement sa blessure à l’épaule. Mais lorsqu’ils l’avaient déshabillé à la recherche d’autres plaies, ils n’avaient pu réprimer ni leur dégoût ,ni leur colère. Outre l’impact dans le gras du ventre, qui n’avait pas était soigné, le corps de Noun était parcouru de coupures profondes et larges de deux centimètres, de brûlures de cigarettes, et d’ecchymoses, certaines de la taille d’un assiette à dessert. A présent, il dormait, et sa respiration calme et régulière emplissait leur cellule. Thomas grelottait, appuyé contre le mur, ils allaient mourir c’était sûr, et lui, il allait partir sans revoir Katarina.

Elle était peut-être déjà morte d’ailleurs, et ses meilleurs potes allaient crever par sa faute. Un frisson le parcourut. En face de lui, à peine visible, son ami le regardait.

-On va s’en sortir. Déclara Franck d’un voix douce. Je te le promets !...

-Je suis désolé lieutenant, mais je ne dispose pas d’effectifs suffisants pour partir à la poursuite de trois ou quatre disparus que personne ne recherche. Aboya le commissaire divisionnaire. Nous allons boucler cette affaire.

Il faut conclure au règlement de compte et donc, pas de balistique, pas d’ADN et pas d’enquête, c’est compris ?

-c’est plus compliqué que ç... tenta de répondre le jeune policier.

-Ça suffit !vous n’allez tout de même pas m’apprendre mon boulot ! Le coupa son supérieur. Sortez !

L’aube était venue, le froid s’était fait plus mordant, la rumeur de la cité avait forci, et la pluie avait, pour le moment, cessé.

Je parvins enfin à déplier mon corps engourdi, et à sortir de mon infâme abri. Mes larmes avaient coulé toute la nuit, j’avais pleuré sur ma faiblesse, ma lâcheté et mon orgueil, j’avais cru mourir de honte et d’impuissance, et puis, le calme était revenu. Caché à l’abri de mon tricot, j’avais découvert le carnet intime de Franck, et ce que j’y avais trouvé en achevant la lecture me fut si fort et si douloureux que mes plaies se refermèrent.

Je regardai ma montre. Sept heures trente six. Quelque part mes amis souffraient, mes frères agonisaient et j’étais le seul à pouvoir les aider.

J’en avais assez du doute, assez des entraves qui avaient limité mon existence. Pour avancer, j’allais devoir grandir, et pour grandir je devais affronter ma peur... Choisir la vie face à la mort...

-A..aa.lors, ils ont co..cogné, cogné, et puis y’avait le gr..gr..grand avec son cou..outeau, j’suis dé..ee..esolé les gars, j’ai honte mais j’ai p..p..parlé, je leur ai dit où v..vous étiez. Sanglotait Noun.

-T’en fais pas. Lui répondit Tom. On aurait pas fait mieux, pas vrai Franckie ?

-C’est vrai Noun ! Avec ce que t’ont fait subir ces enculés, t’avais plus le choix, ils t’auraient refroidi ces porcs !

-On a tou..tou..ou..jours le choix ! Répondit Noun en pleurant

-Arrête David, tu recommences à saigner, et puis merde !S’exclama Thomas. Rien ne se serait passé si je ne vous avez pas entraîné dans cette histoire de fou, si y’a un égoïste ici, un mec qui n’a pas pensé à ses potes c’est moi !

Franck regardait ses deux amis anéantis, assis sur le sol gelé, en haillons, barbouillés de sang, le visage ravagé par la peur et la culpabilité, le renvoyant à son propre echec. Il devait les protéger, et il avait failli...

Il ne connaissait qu’un remède quand la « gamberge » le prenait... L’action.

-Bon les gars quand vous aurez fini de chialer comme des gonzesses, vous pourrez peut-être m’aider à trouver une façon de bourrer le cul de cette bande de salopes.

J’attendais depuis plus d’une heure face à l’entrée de l’immeuble de Franck, je m’étais assuré que personne n’y montait la garde.

J’étais persuadé que la seule chance de retrouver mes amis, la seule piste menant à eux débutait dans cet appartement, et, la gorge serrée, je franchis la porte du hall.

L’ascension des étages fut lente et méticuleuse, chaque centimètre carré me rappelait la veille, je parvins devant la porte.

La première chose que je vis fut la banderole de ruban adhésif jaune frappée en noir de la mention « police ».

Les flics étaient donc venus...

J’étais sur le point de partir, lorsque je remarquai la deuxième chose... La porte était entrouverte...   

La porte s’ouvrit brusquement, et le russe entra revolver au poing...

La surprise se lut sur son visage sombre, alors que face à lui, seul se tenait Noun, assis en tailleur et un sourire radieux en travers de la mine.

A peine eut-il le temps de chercher des yeux les deux autres prisonniers, qu’il reçut les deux pieds de Franck, suspendu au plafond, en pleine tête. Le choc eut pour effet, d’une part, de contrarier définitivement la cicatrisation du nez de Vladimir et de l’autre de le mettre à terre, permettant à Tom, embusqué derrière la porte de se jeter sur lui et de lui arracher son arme.

Les trois hommes sortirent, Franck soutenant Noun.

Leur cellule donnait sur un immense hangar, où sagement alignées, des voitures volées de grandes marques attendaient d’être embarquées pour un long voyage.

Ils devaient faire vite...

A une cinquantaine de mètres, la lourde porte coulissante était ouverte à demi. Un coup d’œil... Pas d’autre issue.

-Allez, les gars, on y est presq... Eut juste le temps de prononcer Thomas avant que son crâne n’explose sous l’impact de deux projectiles de calibre 9x19 Makarov, le troisième se perdant dans l’aile d’un coupé Mercedes.

Atterrés, Franck et Noun, virent le corps sans tête de leur ami faire face quelques millisecondes encore, avant de s’effondrer, ridicule poupée de chiffon...

Ils ne firent aucun geste lorsque trois mafieux les plaquèrent au sol violemment et leur lièrent les poignets dans le dos.

Cependant, ils virent tous deux, le plus petit des trois, trapu, à la grosse moustache, les toiser du regard.

Aux lèvres un hideux sourire de mépris, à la main un pistolet mitrailleur de fabrication polonaise encore fumant... 

Les stores avaient été baissés, et le loft était plongé dans les ténèbres...

Des meubles brisés, du plâtre au sol faisant crisser mes pas. Je ne pus résister à l’envie d’allumer la lumière, et recherchai fébrilement au sol, une hypothétique silhouette crayonnée en blanc, signe que la police avait découvert un cadavre...

Je fus un peu soulagé en n’observant que quelques traces de sang, et souris en me disant que nous avions bien fait de nous installer ailleurs que chez moi.

Deux possibilités s’offraient désormais. Soit mes amis étaient chez les flics, mais la messagerie de mon mobile était toujours vide, soit ils avaient été enlevés par les gangsters, et toujours entre leurs mains. La troisième hypothèse, celle qui envisageait leur mort, je n’en voulus pas. J’étais assis sur un fauteuil épargné par la bataille, lorsque j’éprouvai une impression étrange... Je n’étais pas seul...

Franck observait David, ce garçon si grand, si fort, si généreux était dans un tel état. Blessé, affligé, brisé, il s’était blotti dans un coin de la pièce, et des larmes muettes descendaient le long de ses joues charnues.

Il comprenait sa détresse. Le grand-père de Noun avait été déporté en quarante-trois, et était mort à Buchenwald. Souvent, ils avaient discuté de cette époque troublée, auraient-ils été pires ou meilleurs que les autres, des héros, des lâches ou autre chose encore. Il aurait aimé pouvoir aider son ami.

Mais il se savait bien peu doué pour les paroles réconfortantes. Et après tout, lui, il se débrouillait seul, tout seul...

Franck dut se mordre les lèvres pour ne pas céder à l’impérieuse envie de craquer, ils allaient sûrement mourir, c’était une question de minutes maintenant, il devait s’y préparer... Trois heures passèrent...

La porte grinça, puis s’ouvrit... C’est l’heure, se dit-il...

-Bordel de bordel ! Je savais que c’était trop chaud de faire chier les russes, c’est des malades ces mecs ! S’exclama Abdel.

En face de lui, assis sur les vestiges de ce qui fut un canapé, la tête dans les mains, je venais de raconter les dernières quarante-huit heures à mon interlocuteur.

-Je ne sais pas s’ils sont encore en vie, répondis-je éprouvant le besoin de me lever pour marcher quelques pas, je vais appeler la police.

-Oh la, j’aime pas trop les keufs moi. Ne put s’empêcher de lâcher Abdel, alors que, fâce à la fenêtre, je composais déjà le 17 sur mon téléphone.

Quelques minutes encore, et nous nous retrouvâmes face à face, plongés dans le silence.

Le fonctionnaire de police venait de nous apprendre qu’aucun des noms cités par moi n’avait fait l’objet d’une interpellation, ni d’aucune ouverture d’information.

-Bordel, ça nous laisse deux solutions, et comme je peux pas croire que Franckie soit mort, il faut que je me grouille de le sortir de cette galère de ouf !

-Par quoi on commence ? Demandai-je timidement...

-Alors ! Vous être vilains petits garçons qui frappent mes soldats. Vous mêler de mes affaires ! Pas bon !

Monsieur M. devait avoir la cinquantaine.

Plutôt grand et longiligne, ni ses traits réguliers, sa fine moustache et ses cheveux gris, ni ses vêtements décontractés, ni même la puissance de son accent slave, ne pouvaient laisser penser qu’il était à la tête d’une organisation criminelle aussi cruelle que puissante.

A sa droite, toujours aussi élégant dans un costume clair le blond, Artyusha souriait.

Derrière eux, on pouvait encore remarquer les deux gorilles, Igor, tête d’œuf, emmitouflé dans son cuir, et Vladimir, un pansement barrant sa face, son survêtement noir et sa coupe d’inspiration militaire ne prêtaient plus à sourire.

Plus loin, encadrant la porte, deux hommes plus petits, portant des treillis kakis et des fusils d’assaut en bandoulière. L’un d’eux était l’assassin moustachu de Thomas.

Enfin, d’autre formes, à l’extérieur, trahissaient la présence de renforts.

-Moi présenter quelqu’un à vous. Reprit monsieur M....

Quartorze heures trente neuf, je regardais en silence la pluie frapper la vitre du combi WV. Nous avions déjeuné, Abdel et moi, sans un mot, conscients de la nécessité de stocker de l’énergie. Puis, nous nous étions rendus dans une cave, appartenant à un ami du jeune maghrébin, et là, j’avais découvert un véritable arsenal, j’ignorais le nom et le mode de fonctionnement de la moitié des armes présentes.

Après qu’Abdel eût fait son choix, nous reprîmes la route, toujours sans parler, seule une cassette de reggae, usée à force d’être écoutée, venait entamer la gravité du moment.

Abdel avait enfin desserrer les dents pour m’expliquer que la pègre de l’est, et plus particulièrement la russe, avait pour territoire la vaste zone industrielle à l’ouest de la ville, leur offrant un véritable labyrinthe où dissimuler leur butin et autres trafics.

Enfin, nous nous étions arrêtés sur une hauteur dominant cette multitude de hangars et d’entrepôts où la police ne s’aventurait jamais, de crainte d’y faire des mauvaises rencontres.

J’essayais de voir par delà la pluie, par delà les murs gris, les lourdes portes d’acier, je savais que là, en bas, dans une de ces immondes bâtisses, mes amis les plus chers étaient en train de souffrir, et cette proximité m’était insupportable. Je savais qu’il en était de même pour Abdel qui, à l’extérieur du véhicule, les mains crispées sur ses jumelles, scrutait inlassablement la zone à la recherche du plus petit signe de présence.

Soudain il se figea et fit un signe de la main. Il avait vu quelque chose...

Franck et Noun oscillaient entre une admiration béate et une insondable peine.

C’etait donc elle... L’élégante brune était entrée, et c’était comme si les secondes s’étaient figées, cette démarche princière, si lasse et si légère, ces courbes harmonieuses, ces proportions parfaites, cette soyeuse chevelure de geai encadrant un émouvant visage, dont la pâleur était soulignée par un regard abyssal, ces yeux si bleus qui lançaient des éclairs de colère et de tristesse...

C’était donc elle... Pour elle, que Thomas avait tout risqué, et pour elle qu’il était mort.

L’envoûtante créature acheva son entrée, et l’instant de grâce cessa.

Franck remarqua aussitôt les marques bleues qui enserraient les poignets de Katarina, la poésie avait fait place à la brutale réalité.

-Je suis vraiment désolée. Souffla-t-elle, alors que ses yeux s’embuaient.

Elle avait aimé Tom, ils en étaient sûrs maintenant, et cette pensée leur fit l’effet d’une caresse.

Le rire sonore de monsieur M., aussitôt amplifié par ceux de ses hommes, les ramena à leurs chaînes.

-Moi très ému !  Petits français pas résister à nos putes. Moi avoir travail. Adieu !

Le chef mafieux tourna les talons et se dirigea vers la porte entraînant derrière lui une partie de sa suite.

-Oh ! Moi oublier. Dit-il en se retournant brusquement. Moi détester deux choses. Première chose, infidélité.

Il lança un regard en direction de son lieutenant.

-Igor pajalousta ! Ordonna Art.

Lentement, le chauve extirpa le long poignard de combat de sa botte, assura sa prise, et frappa...

-Là ! Derrière le bâtiment rouge et blanc, tu vois les trois bagnoles, le BM série 7 gris et les deux X5 noirs. S’exclama Abdel. Ces caisses sont pas ici par hasard bordel !

A ses côtés, je ne pus réprimer un frisson...C’est là que tout allait se jouer...

La lutte fut bien inégale entre la délicate gorge de Katarina, et la lame effilée d’Igor...

Franck et Noun, comme accoutumés à l’horrible ne firent pas même un geste.

La petite princesse au blême visage gisait au sol, au milieu d’une mare de sang, figée pour toujours dans une posture sans élégance...

-Deuxième chose. Poursuivit monsieur M.. Curiosité ! Un ami à vous déjà mort, un autre libre, moi devoir faire exemple, un de vous devoir mourir, autre pouvoir vivre et méditer, si lui me dire où trouver ami à vous. Si vous garder silence, mort pour tous les deux. Voilà ! Messieurs, moi vous laisser avec Artyusha, vous avoir trente minutes...

-Regarde ! des types sortent de l’entrepôt !Hurla Abdel. Bordel ils montent dans les bagnoles, ils se cassent, c’est le moment d’aller voir !

-On y va putain ! répondis-je la boule au ventre.

Nous montâmes dans notre véhicule et le camouflâmes dans la cour d’un hangar à l’abandon.

-OK man ! Commença Abdel. Je sais pas ce que tu vaux, si tu flippes, attends moi ici

-Mes amis sont dans ce bâtiment. Répondis-je montrant de la main le gigantesque entrepôt rouge et blanc à cinquante mètres de là.

-C’est bon pour moi mec. Poursuivit le jeune maghrébin. Je vais essayer d’entrer par le grand portail là-bas dans cinq minutes, ça devrait mettre le souk. Pour toi, doit y avoir une entrée de l’autre côté, t’as qu’à prendre ce que tu veux dans le coffre de la tire. Moi, j’ai c’qu’il me faut bordel ! A plus man !

Je regardai Abdel s’éloigner en trottinant à l’abri des rangées d’arbustes, glissai dans ma ceinture un automatique noir, empoignai un fusil à pompe, et engouffrai deux poignées de cartouches dans les poches de mon imper.

Je pris dans ma main une grenade défensive, la reposai, finis par la glisser dans ma poche et respirai une grande bouffée d’air. La pluie avait repris, j’enjambai un petit mur et me dirigeai au pas de course vers l’arrière du hangar...

C’était le pied du mur, je devais entrer dans cet entrepôt, j’avais des choses à dire à mes amis...

Franck et Noun étaient à nouveau seuls. De l’horreur qui fut, seules subsistaient au sol quelques traces sanglantes.

Les deux amis se tenaient face à face aux deux extrémités de la pièce. Noun, adossé à un angle, pleurait, tandis que son poing fermé martelait le sol au poing d’en avoir les phalanges à vif.

De l’autre côté, Franck, semblait attendre stoïquement sa fin toute proche.

-Je je veux p..pas que tu meu..eures t..t..toi aussi ! Dit le géant.

-Au point où on en est mon pauvre Nounours. Répondit Franck en souriant. Je pense qu’on va y passer, mais ils auront pas Alex. Tu sais, quand on y pense, on peut s’habituer à l’idée de sa propre mort, la seule chose qui fasse vraiment mal au bide, c’est de penser qu’on va crever tout seul...

-T’es pas tout seul. Poursuivit Noun en se levant pour s’asseoir près de son ami. T’es pas tout seul...

A SUIVRE……………

Publicité
Commentaires
Publicité